Ça y est, on est en plein dedans : le confinement, les communiqués 24h sur 24 à la télé et à la radio qui appellent à la mobilisation générale, les files devant les supermarchés et les rayons vides, les amis ou la famille qu’on ne peut plus voir et de qui on prend tout à coup des nouvelles. C’est l’état de siège, la routine est brisée, le lien social est interrompu. Un tout vrai, très méchant virus qui tue est chez nous et contre lequel on peut très peu. Les cercueils s’empilent déjà en Italie, à nos portes.
Depuis le temps qu’on s’angoisse et s’indigne pour tout et pour rien, pour des broutilles ou des catastrophes, depuis la simple inquiétude jusqu’à l’hystérie :
la Planète, le réchauffement climatique, la montée du niveau de la mer, la réforme des retraites, les vaccins, la 5 G, les réfugiés, les sans-abris, les féminicides, les violences conjugales, les incestes, les curés pédophiles, les attentats terroristes, les essais nucléaires nord-coréens, les islamistes, l’incapacité et la corruption de nos dirigeants, les voitures électriques, le nucléaire, le charbon, le pétrole, la disparition des espèces, la disparition de la forêt amazonienne, la disparition des peuples autochtones, le colonialisme, Polanski, Woody Allen, la pollution de la mer, la mort des abeilles, les pesticides, et encore et encore et encore
Et tout ça sans que notre quotidien ne change d’un iota. Tout ça en continuant à aller travailler, à consommer, à amener ses enfants à l’école, à se faire soigner, à fêter les anniversaires, les mariages, les enterrements. Un clic suffisait. Je like, je suis fâché, je suis en colère, je suis dégoûté. Et la vie continue.
Jamais nous n’avions pensé qu’un vrai gros problème allait un jour nous tomber dessus, avec des gens qu’on connaît qui meurent, et peut être nous demain. Avec un confinement d’une durée indéterminée qui casse toute la vie quotidienne que nous connaissons depuis notre naissance, car peu encore ont connu la Guerre : plus de travail, plus d’école, plus de sport, plus de divertissements, plus de fêtes, plus de fréquentations humaines, plus rien, seulement du virtuel.
Le pire, c’est que nous ne pouvons incriminer personne. Il n’y a pas de coupable humain. On ne peut pas se réunir devant le cinéma en criant « Non à la projection du film ! ». Il y en a quand même qui disent que nous sommes tous coupables, que c’est notre faute parce que nous n’avons pas respecté la Nature. Chez beaucoup de peuples premiers, la maladie est toujours causée par quelqu’un qui vous veut du mal. Il n’y a que chez nous qu’on considère que c’est nous même qui nous voulons du mal. Ça s’appelle le complexe de culpabilité. Bien sûr il y a aussi le vieux réflexe conditionné à l’encontre des dirigeants « Ils auraient pu s’y prendre plus tôt ». Et s’ils s’y seraient pris plus tôt on aurait dit « Ils exagèrent dans la parano ». J’ai rappelé ailleurs la fable de La Fontaine Le meunier, son fils et l’âne…
Je ne veux pas dire que toutes ces révoltes et ces angoisses ne sont pas justifiées, je ne me prononce pas là-dessus, chacun a son échelle de valeur, ses priorités, sa sensibilité, son plus ou moins grand degré d’implication dans la société. D’ailleurs on n’oublie rien, toutes ces revendications sont simplement mises sous le tapis, prêtes à être ressorties au premier signe d’accalmie. Certains ne se privent pas de maintenir la flamme, et de temps en temps on entend des petites voix qui rappellent et les réfugiés, et les violences conjugales, ils n’ont pas tort.
Ce que je veux dire c’est que cette ambiance générale d’angoisse, de malheur, de souffrance, qui précédait l’épidémie, sans qu’elle soit vraiment justifiée dans la vie quotidienne réelle de la plupart d’entre nous, était le symptôme d’une société bloquée.
Le vrai problème c’est que depuis 1979,
- l’exploitation du travail a augmenté exponentiellement sans qu’il n’y ait aucune redistribution des bénéfices supplémentaires,
- que le travail va disparaître plus vite que le climat ne se réchauffe à cause de la robotisation et des délocalisations,
- que les bénéfices vont dans les paradis fiscaux ce qui fait qu’il n’y a plus assez d’impôt qui rentre pour payer les hôpitaux, la sécurité sociale, l’enseignement, la justice, etc.
Le vrai problème c’est que peu de gens en parlent ou s’en inquiètent parce qu’ils se focalisent sur [voir plus haut]
Quand on a un vrai problème qu’on ne veut pas voir, qu’on cache, qu’on enfouit, cela produit ce qu’on appelle des symptômes : des boutons, de la fièvre, de la fatigue, des angoisses…
Le coronavirus donne aussi des symptômes, qui peuvent être mortels. Le symptôme mortel pour une société c’est la dictature, populiste ou pas, qui vient toujours comme la meilleure solution contre les angoisses, surtout quand on n'en connait pas les vraies causes. C'est le retour du père (ou de la mère) salvateur !
Tout cela me semble si dérisoire maintenant que nous sommes forcés de revenir à l'état naturel des choses. Enfin, le cerveau doit continuer à s'entraîner malgré tout. On peut juste espérer que ce recul forcé permette à plus de personnes de remettre en question toutes les absurdités de notre société contemporaine.